samedi 21 mars 2020

Patchwork de 43 morceaux mode franc-comtoise

Avec mon parachute en torche
Et ma gueule de Caterpillar
Paraît qu'je viens d'une catastrophe
Mais les dieux sont pas très bavards

J'étais la sainte Vierge des paumés
La p'tite infirmière des fantômes
J'raccommodais les yeux crevés
J'rafistolais les chromosomes

Et nous avions des gueules à briser les miroirs
A ne montrer nos yeux que dans le contre-jour
Mais entre deux délires, entre deux idées noires
Nous étions les plus beaux, nous vivions à rebours

Si un jour je r'trouve la mémoire
Et deux trois bières pour ma moquette
J'balancerai à la série noire
Un truc à faire chialer Hammett

J'ai quelque mauvais don d'acrobaties verbales
Surtout les soirs d'hiver quand j'suis black et d'équerre
Tel un douanier Rousseau du graffiti vocal
J'fais des bulles et des rots en astiquant mes vers

J'ai ma bombe à étrons et j'ai mes Droits de l'Homme
Et j'ai ma panoplie de pantin déglingué
Et j'ai ces voix débiles qui m'gueulent dans l'hygiaphone
Ne vous retournez pas la facture est salée

Et je cherche un abri sur une étoile occulte
Afin d’me tricoter des œillères en catgut
Je m’arracherais bien les yeux mais ce serait malveillance
Vu que j’ai déjà vendu mon cadavre à la science

Les mollards sous les papillons
L'hémoglobine sur mes stigmates
Ma treille bouffée par les morpions
Et ce putain de soleil qui me délatte

Je me sens coupable de garder mes lunettes noires de vagabond solitaire,
Alors que la majorité de mes très chers compatriotes ont choisi de remettre
Leurs vieilles lunettes roses à travers lesquelles on peut voir
Les pitreries masturbatoires de la sociale
En train de chanter c'est la turlute finale !

Manipulez-vous dans la haine
Et dépecez-vous dans la joie
Le crapaud qui gueulait: "je t'aime"
A fini planté sur une croix !

Et les voila partis vers d'autres aventures,
Vers les flèches où les fleurs flashent avec la folie
Et moi je reste assis les poumons dans la sciure
A filer mes temps morts à la mélancolie.

Pendant que mes ennemis amnistient leur conscience
Que mes anciens amis font tomber leur sentence
Les citoyens frigides tremblent dans leur cervelles
Quand les clochards lucides retournent à leur poubelle

Les sergents-recruteurs me demandent au parloir
Avec des mégaphones pour compter les élus
Les sergents-recruteurs me jouent le jour de gloire
Mais moi j’suis mongolien chromosome inconnu

La terre est un Mac Do recouvert de ketchup
Où l'homo cannibale fait des gloups et des beurp
Où les clowns en treillis font gémir la musique
Entre les staccatos des armes automatiques

A l'ombre de vos centrales, je crache mon cancer
Je cherche un nouveau nom pour ma métamorphose
Je sais que mes enfants s'appelleront vers de terre
Moi je vous dis : "bravo" et "vive la mort !"

Le jour où les terriens prendront figure humaine
J’enlèverai ma cagoule pour entrer dans l’arène
Et je viendrai troubler de mon cri distordu
Les chants d’espoir qui bavent aux lèvres des statues

On n'entend plus crapuler dans le vent
Les discours des leaders et des tribuns
Tous les mornes aboyeurs de slogans
Les sycophantes et les théoriciens

Les chiens t'attendent au bout du quai
Avec des plumes et du goudron
Ils vendent des orgasmes en sachets
Mais font la gerbe en location


De la folie des ombres à l'alchimie des heures
On se perd dans le nombre infini des rumeurs
C'est juste une pénombre au fond de la douleur
C'est juste un coin trop sombre au bout d'un autre ailleurs

Quand les clochards opposent la classe et l'infini
A la vulgarité glauque de la bourgeoisie
Quand les valets de cour, plaideurs pusillanimes
Encombrent de leurs voix nos silences et nos rimes

Là-bas, sur les terrains vagues de nos cités
L'avenir se déplace en véhicule blindé
Symphonie suburbaine et sombre fulgurance
À l'heure où les sirènes traversent nos silences

Des visages incolores, des voyageurs abstraits
Des passagers perdus, des émigrants inquiets
Qui marchent lentement à travers nos regrets
Nos futurs enchaînés, nos rêves insatisfaits

Les gens tristement quotidiens
Dans leur normalité baveuse
Traînent leur futur d'euro-pingouins
Au bout d'leurs graisses albumineuses

Et l'on pousse à fond les moteurs
A s'en faire péter les turbines
C'est tellement classe d'être looser
Surtout les matins où ça winne

Le jeu de la folie est un sport de l'extrême
Qui se pratique souvent au bord des précipices
Où dans les yeux des filles au bout des couloirs blêmes
Des labyrinthes obscurs aux fumeux artifices

Au nom du père, au nom du vice
Au nom des rades et des mégots
Je lève ma Guinness et je glisse
Dans la moiteur des mélancos

Je suis le rebelle éclaté
Au service de sa majesté
La reine aux désirs écarlates
Des galaxies d'amour-pirate


Et mon regard prélude
Le jeu de la pudeur
Quand par manque d'habitude
On s'méfie du bonheur

Mais toi tu squattes ailleurs dans un désert de pluie
En attendant les heures plus fraîches de la nuit
Et tu me fais danser là-haut sur ta colline
Dans ton souffle éthéré de douceurs féminines

Pas b'soin de télescope pour suivre ta beauté
Quand tu viens t'acharner à me faire espérer
Mais j'suis fait d'une matière débile indélébile
Et je n'sais plus quoi faire pour me rendre inutile
Et je n'sais plus quoi faire pour te décevoir

C'est juste une fille un peu rétro
Qui rêve d’être une Panzer Frau
Et qui me déguise en nymphomane
Pour que je me tape son doberman

Alors je rêve d’être un fusil
Un bazooka, un bombardier
Ou bien encore un champ de mine
Où tu viendrais te faire sauter

Mon blues a déjanté sur ton corps animal
Dans cette chambre où les nuits durent pas plus d'un quart d'heure
Juste après le péage assurer l'extra-ball
Et remettre à zéro l'aiguille sur le compteur

Mais si t'as peur de nos silences
Reprends ta latitude
Il est minuit sur ma fréquence
Et j'ai mal aux globules

Reprends tes walkyries pour tes valseurs maso
Mon cheval écorché m'appelle au fond d'un bar
Et cet ange qui me gueule : « viens chez moi, mon salaud ! »
M'invite à faire danser l'aiguille de mon radar

A l’aube on était vermoulu, pressé comme le raisin
Avec lequel les dieux fabriquent l’Ambroisie-Chambertin
Puis j’ai mis ma dernière tournée en me demandant
Si les morts s’amusaient autant que les vivants

Tout est de ma faute en ce jour
Et je reconnais mes erreurs
Indifférent à tant d'amour
J'accuse mes imbuvables humeurs

Ça peut durer jusqu'à toujours
A moins que l'on ait le courage
De se dire merde un beau jour
Et de mettre fin au naufrage

Ça sent la vieille guenille et l'épicier cafard
Dans ce chagrin des glandes qu'on appelle l'Amour
Où les noirs funambules du vieux cirque barbare
Se pissent dans le froc en riant de leurs tours

Et j’imagine le rire de toutes nos cellules mortes
Quand on s’tape la bascule en gommant nos années
J’ai gardé mon turbo pour défoncer les portes
Mais parfois il me reste que les violons pour pleurer

D'ivresse en arrogance
Je reste et je survis
Sans doute par élégance
Peut-être par courtoisie

Que ne demeurent les automnes quand sonne l'heure de nos folies
J'ai comme un bourdon qui résonne au clocher de ma nostalgie
Les enfants cueillent des immortelles, des chrysanthèmes, des boutons d'or
Les deuils se ramassent à la pelle en bas dans la ruelle des morts

Inutile de graver mon nom
Sur la liste des disparus
J'ai broyé mon propre horizon
Et retourne à mon inconnu

(Morceaux choisis de 43 textes d'Hubert Félix Thiéfaine)